Le militantisme

Le militantisme

Le militantisme, les grèves, les manifestations, les scabs, les fusillades et les interventions policières musclées, c’est un large pan méconnu de l’histoire de Rouyn-Noranda qui vaut pourtant de l’or (ou du cuivre!).

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Rassemblés à la barrière de la mine Horne en juin 1934, les grévistes, surtout des immigrants originaires de l’Europe de l’Est, ont fait face à une solide offensive policière. À droite, sur la photo, nous pouvons voir le wagon qui servait de Q.G. pour les forces de l’ordre.

Crédit : BAnQ Rouyn-Noranda, fonds Joseph Hermann Bolduc. 08Y,P124,P464-5-35.

Communistes et militants

Pendant la Grande Dépression, même si la misère est un peu moins présente que dans les villes de la vallée du St-Laurent, elle a aussi de terribles conséquences en région. Les industries forestière et minière ont été obligées de considérablement réduire leur activité, et donc de réévaluer les conditions de travail des ouvriers à la baisse. Ce climat social engendre son lot de répercussions sur les luttes ouvrières sur notre territoire.

 

Grève des Fros

Environ 300 hommes et femmes ont déclaré la grève hier matin […]. Une centaine d’hommes ont été acceptés hier soir par la Noranda Mining Company pour remplacer un nombre égal de grévistes. La compagnie a devant elle 150 autres applications et elle signera un certain nombre de contrats d’engagement aujourd’hui.

  • La Gazette du Nord, 15 juin 1934

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Groupe de policiers ayant travaillé à la répression de la Grève des « Fros ».

Crédit : BAnQ Rouyn-Noranda, fonds Joseph Hermann Bolduc. 08Y,P124,P464-5-47

À la suite de l’implantation du syndicat Mines Workers Union of Canada, environ 300 des 1400 employés de la mine Horne, essentiellement des immigrants d’Europe centrale et de l’Est, décident de débrayer. Les grévistes demandent, en plus de l’amélioration des vestiaires et de la ventilation sous-terre, des journées de travail de huit heures, la possibilité d’être affilié au syndicat de leur choix, 10 % d’augmentation salariale ainsi qu’une meilleure rémunération du temps supplémentaire.

Après cette période, les politiques d’embauches ont significativement changé à la mine Horne. Avant 1934, 70 % des individus embauchés à la mine Horne issus de l’immigration. Après 1934, ce sont des Canadiens anglais et français, ainsi que des Anglo-américains qui représentent 70 % des personnes embauchées.

Bien que la grève des « Fros » de juin 1934 soit de loin le conflit ouvrier le plus connu grâce notamment à une grande chanson de Richard Desjardins, ce n’est pas le seul qui a secoué notre ville.

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Mise en chanson par Richard Desjardins, la grève des « Fros » a marqué la mémoire collective de Rouyn-Noranda. Comme nous pouvons le constater sur la photo, souvent les femmes et les enfants s’installaient en première ligne des piquets de grève afin de dissuader les forces de l’ordre d’utiliser la violence. Cette manière d’organiser la contestation est directement inspirer des « Wobblies», un syndicat révolutionnaire américain.

Crédit : BAnQ Rouyn-Noranda, fonds Joseph Hermann Bolduc. 08Y,P124,P464-5-2

Engagement politique des groupes ethniques et 1er mai 1932

Dans les années 1920 et 1930, plusieurs groupes ethniques sont très engagés politiquement. C’est le cas des Finlandais de Rouyn dont le premier rassemblement est une soirée-bénéfice tenue le 18 septembre 1927, visant à amasser un fonds de grève pour les travailleurs finlandais.

Pour sa part, le Ukrainian Labour Temple ouvre ses portes dès le début des années 1930. La vie associative y est florissante. D’ailleurs, cette salle est, le 1er mai 1932, théâtre d’un grand rassemblement politique à l’occasion de la fête des Travailleurs. Le journal La Gazette du Nord rapporte alors une émeute à laquelle participent « les communistes de Noranda et de Rouyn qui ont voulu faire une grande manifestation de protestation contre les autorités du pays et contre les moyens adoptés pour venir en aide aux chômeurs » (La Gazette du Nord, vendredi 6 mai 1932). Notons que la manifestation est loin de se composer exclusivement d’Ukrainiens. On peut soupçonner une ferveur politique assez grande chez les participants de la manifestation, puisqu’elle devient rapidement acte de révolte et que les participants reçoivent rapidement l’ordre de se disperser. Les plus téméraires « tirèrent sur la police des coups de fusil et de revolver et lui lancèrent des pierres et autres projectiles » (idem).

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Article de journal relatant les évènements du premier mai 1932. Nous vous invitons à communiquer avec nous si vous savez qu’une photo de l’évènement existe. C’est un concours et le gagnant se mérite une reconnaissance sans commune mesure des rédacteurs.

Crédit : La Gazette du Nord, vendredi 6 mai 1932, p. 1.

La grève des bûcherons de 1933

Les conflits de travail ne se limitent pas au domaine minier et aux immigrants internationaux. La Grande Dépression secoue également l’industrie forestière, dont les travailleurs sont canadiens-français en majorité. Plusieurs entreprises ferment leurs portes et celles qui demeurent réduisent leurs dépenses. En effet, en moins d’une décennie le salaire des bûcherons dégringole de près de moitié. De surcroît, les conditions de vie dans les camps sont exécrables : « Les bûcherons s’entassent dans une cabane en bois rond; une quarantaine d’hommes logent ainsi dans un espace d’environ vingt pieds sur vingt-huit. Le manque de ventilation rend l’atmosphère irrespirable et saturée d’humidité ».

le-cure-albert-pelletier-copieCuré Albert Pelletier (1890-1974) qui a célébré une messe en l’honneur des grévistes de la CIP. Les voies de la solidarité sont impénétrables… Un grand homme d’Église!

Crédit : BAnQ Rouyn-Noranda, Fonds Société d’histoire de Rouyn-Noranda, série Albert Pelletier. 08-Y,P117,S5,P418.

Sans surprise, à l’automne 1933, la colère gronde chez les bûcherons des camps de la Canadian International Paper (CIP) installés à proximité de Cléricy. Dégoûtés par ce recul de leurs conditions de travail, quatre cents travailleurs forestiers débrayent et marchent vers Noranda, exigeant une augmentation de salaire et l’amélioration des conditions de travail. T.E. Draper, un grand patron de la CIP, ne considère aucunement leurs revendications : il affirme refuser de se laisser mener par une bande de «communistes». La tension atteint son paroxysme le 11 décembre 1933 lorsque 200 grévistes font une ligne de piquetage pour empêcher les briseurs de grève d’accéder aux chantiers forestiers. Des policiers sont envoyés sur place afin de faire mater la grève  à l’aide de gaz lacrymogènes et de matraquage. Quatre-vingts personnes sont arrêtées, dont les principaux organisateurs de la grève : Harry Racketti, Jeanne Corbin et Jerry Donohue.

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Jeanne «l’héroïne du parti» Corbin, militante d’obédience communiste qui sera enfermée trois mois pour son rôle dans la grève des bûcherons. Les dures conditions d’incarcération dans la Prison de Ville-Marie auront une grande incidence sur sa santé ultérieure.

Crédit : Andrée Lévesque, Scène de ma vie en rouge,  L’époque de Jeanne Corbin 1906-1944, Montréal, Remue-ménage, 1999, p.49

Dans leur rapport, les deux enquêteurs du gouvernement du Québec attestent que cette grève a surtout été causée par les dirigeants ouvriers. « Des communistes vulgaires de la pire espèce [qui ont organisé une grève] anarchique qui ne recherche pas le redressement d’un grief, mais la destruction et la ruine ». Évidemment, l’objectivité des enquêteurs peut aisément être questionnée. Notons cependant qu’il est évident que l’influence des organisateurs syndicaux d’obédience communiste, comme Jeanne Corbin, Harry Racketti et bien d’autres, a été significative dans ce conflit.

Des luttes parallèles?

De manière inusitée, rares sont les moments où canadiens-français et immigrants ont fait front commun de manière significative à Rouyn-Noranda. Est-ce que c’est parce que les groupes ethniques ne représentaient pas les mêmes proportions dans les différents secteurs d’activités? Est-ce en raison d’une barrière de langue? La solidarité est-elle minée par la multiplicité des cultures? Ainsi, il serait intéressant d’approfondir la recherche sur les relations ethniques dans le cadre spécifique des luttes ouvrières à Rouyn-Noranda.

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Kenneth H. Turnbull (1902-1954) est le chef de la police provinciale à Rouyn dans les années 1930. Pendant la grève des bûcherons et la grève des « Fros », il dirige l’ensemble des forces constabulaires chargé de mater la révolte (policiers locaux, provinciaux et de la GRC). Avec son large gabarit et sa matraque, il a fait régner la loi et l’ordre aux dépens de ceux qui militent pour améliorer leur sort.

Crédit : BAnQ Rouyn-Noranda, fonds Joseph Hermann Bolduc. 08Y,P124,P464-5-20.

Pour en savoir davantage :

Beaupré, Sylvain. « Analyse anthropologique des rapports de production entre les immigrants polonais et les autres groupes ethniques à la mine Noranda entre 1926-1951 », mémoire de M.A., Université de Montréal, Département d’anthropologie, 1998, 76 pages.

Catta, Jean-Michel,

Gaudreau, Guy. « Les heures de travail et la canadianisation des effectifs à Timmins et en Abitibi », dans Guy Gaudreau, dir., L’histoire des mineurs du Nord ontarien et québécois, 1886-1945, Sillery, Septentrion, 2003, p. 172-175.

Gaudreau, Guy. « Les travailleurs de la Noranda 1926-1939 : une première prise de vue », dans Guy Gaudreau, dir., L’histoire des mineurs du nord ontarien et québécois, Sillery, Septentrion, 2003, p. 143-162.

Gourd, Benoit Beaudry. Le Klondike de Rouyn et les Dumulon. L’histoire du développement minier de la région de Rouyn et d’une famille de pionnier. Rouyn-Noranda, cahier du département d’histoire et de géographie du Collège de l’Abitibi-Témiscamingue, 1982. 114 pages.

Gourd, Benoît-Beaudry. « L’Abitibi-Témiscamingue minier », dans Odette Vincent, dir., Histoire de l’Abitibi-Témiscamingue, Québec, IQRC, 1995, p. 283-320.

Autres sources :

BAnQ, Rouyn-Noranda, 08Y,P151,S1,D30, Collection Historical Society of Rouyn-Noranda, série documents manuscrits, communautés ethniques.

BAnQ Rouyn-Noranda, fonds Joseph Hermann Bolduc. 08Y,P124,P464-5-20.

Bureau d’enregistrement du Québec, Ville de Rouyn, Bloc 41, lot 228-229.

La Gazette du Nord, vendredi 6 mai 1932, p. 1.

Rapport de Maxime Morin concernant la grève des bûcherons à Rouyn, 27 décembre 1933, p. 6, dans Gouvernement du Québec, Rapport de MM. Maxime et Louis Morin concernant la grève de bûcherons à Rouyn, Documents de la Session, 1934, no 70.