Les noms des lacs et rivières de Rouyn-Noranda : une histoire oubliée

Les noms des lacs et rivières de Rouyn-Noranda : un histoire oubliée

Guillaume Marcotte, candidat à la maîtrise ès arts en Études canadiennes à l’Université de Saint-Boniface à Winnipeg.

Il est généralement bien connu qu’avant de porter des noms français ou anglais, les différents plans d’eau autour de Rouyn-Noranda ont porté des noms algonquins. Quelques-uns de ces anciens toponymes (noms de lieux) ont survécu. Le plus connu est sans doute le lac Opasatica, dont le nom signifie « là où il y a des trembles qui poussent ». On sait qu’avec la colonisation agricole de l’Abitibi-Témiscamingue, grand nombre de lieux physiques furent renommés en français afin de mieux assoir le projet de colonisation. Ce qui est moins connu, c’est qu’une « couche » intermédiaire de toponymes située chronologiquement entre les noms algonquins ancestraux et ceux plus récents liés à la colonisation a existé, et même survécu en partie : les noms liés à la période de la traite des fourrures. Pour illustrer cela, explorons un peu quelques toponymes liés à la traite dans le territoire de la ville de Rouyn-Noranda.

Malgré l’absence de postes de traite sur le territoire actuel de la ville, deux routes de canot traversaient le secteur. La première, et de loin la plus fréquentée, reliait les postes des lacs Témiscamingue et Abitibi. Quelques toponymes rappelant cette époque (1670-1900) sont toujours en usage. Ainsi, le lac Opasatica est aussi connu par la population locale sous le nom de lac Long, l’une des appellations en usage chez les voyageurs du XIXe siècle. La route de canot nord-sud traversait la ligne de partage des eaux dans les environs de la route 117 actuelle, près du quartier Arntfield. On nommait cet endroit la Grande Savane. Plus loin, le ruisseau permettant d’accéder au lac Dasserat, toujours appelé rivière Serpent aujourd’hui, tire justement son origine de la traite des fourrures, et est mentionné par le premier missionnaire de la région, le père Bellefeuille, dans son récit de voyage de 1837. Il précise alors qu’il s’agit d’une traduction de l’algonquin : Kinèbik-o-sipi. Bellefeuille raconte :

« Elle va ainsi continuellement, en serpentant de la manière la plus singulière comme la plus incommode l’espace d’une lieue, et n’est à proprement parler autre chose qu’un chenail fort étroit qui forme comme un Labyrinthe au travers d’une forêt de joncs. C’est là, à peu près, la hauteur des terres ; car tous les rapides que l’on rencontre ensuite coulent vers le Nord ».

-Louis Charles Lefebvre de Bellefeuille, 1837

Le lac Dasserat ou Kanasuta, quant à lui, était à l’époque désigné par plusieurs noms français. En 1822, un agent de la Compagnie de la Baie d’Hudson présente deux appellations distinctes : « Nous sommes maintenant sur ce que les Canadiens [français] appellent le Lac des Isles, et que les Indiens nomment Wuppintowigan ». Plus au sud, dans le quartier Rollet, ce que nous nommons aujourd’hui la rivière Solitaire, était appelée par les voyageurs la rivière l’Ennui, ou encore rivière Ennuyante, encore ici une adaptation du toponyme algonquin Gashkènindamowin-o-sipi. Quant au lac Barrière, dans le même secteur, on peut aussi faire remonter son nom au moins aux années 1820.

La deuxième route de canot, surtout utilisée entre 1821 et 1863, reliait le poste de traite du lac Abitibi à celui du Grand lac Victoria (Kitcisakik). Partant du lac Abitibi, les canots d’écorce reliaient le lac Duparquet, tournaient vers l’est par un petit ruisseau pour franchir la ligne de partage des eaux, avant de rejoindre le lac Dufresnoy, dans le quartier Destor. Ce dernier lac les menait, via la rivière Kinogévis, à la rivière des Outaouais, d’où l’on pouvait atteindre le Grand lac Victoria. Un toponyme particulier, particulièrement rattaché à l’histoire de la traite des fourrures en Amérique du Nord, y était présent. En effet, le père Bellefeuille signale en 1838 la présence des Grandes Dalles, une chute d’eau impressionnante sur la rivière des Outaouais. Bien qu’il soit difficile d’identifier à coup sûr les lieux, il s’agissait probablement de l’endroit où a été construit au XXe siècle le barrage de Rapide-7. On retrouve plusieurs rapides ou chutes d’eau nommées les Dalles par les traiteurs de fourrures en Amérique du Nord ; l’endroit le plus connu étant probablement celui situé en Oregon, aux États-Unis.

Comme on vient de le voir, plusieurs toponymes liés à la traite des fourrures sur le territoire de Rouyn-Noranda ont disparu, ayant connu le même sort que ceux, beaucoup plus anciens, provenant des habitants originaux, les Algonquins. Toutefois, quelques rares « bijoux » ont survécu et témoignent, en autant que l’on sache les reconnaître, d’une époque fascinante où les lacs et rivières servaient de routes d’échanges commerciaux entre chasseurs et traiteurs. Rouyn-Noranda est donc, en ce sens, partie prenante d’une histoire nord-américaine de la traite des fourrures, pour laquelle les cours d’eau savent encore, mieux que nous, se rappeler.

Pour en apprendre plus :

MARCOTTE, Guillaume. (2015). Un « tracé d’une grande valeur » : La carte indienne d’Angus Cameron et le potentiel ethnohistorique associé aux postes et routes de traite des sources de l’Outaouais, 1760-1870. Recherches amérindiennes au Québec.

Figure 1.

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Une reproduction de la carte dite de Cameron (1842), montrant le secteur de Rouyn-Noranda, avec du nord au sud, les lacs Abitibi, Duparquet, Dasserat et Opasatica. La carte originale se trouve aux Archives de la Compagnie de la Baie d’Hudson, Winnipeg. Crédit : Guillaume Marcotte.

Figure 2.

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Voyageurs algonquins dans un canot d’écorce, au portage situé à Rapide-Danseur, Abitibi. Vers 1900. Crédit : Archives Deschâtelets, Richelieu.

Figure 3.

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Le ruisseau près de la ligne de partage des eaux, entre les lacs Duparquet et Dufresnoy. Crédit : Guillaume Marcotte