Kewagama ou le petit Canada, la genèse de Cadillac.

Kewagama ou le petit Canada, la genèse de Cadilac.

Suite au développement de la mine Horne au milieu des années 1920, une ruée de prospection minière agite l’ensemble de la région. Motivés par l’appât du gain, de nombreux prospecteurs orientent leurs recherches vers les cantons voisins de celui de Rouyn dans l’espoir d’y faire fortune. D’ailleurs, des découvertes de minéraux précieux avaient été faites dans le Canton de Cadillac dès les années 1910. Raison de plus pour intensifier les efforts sur ce territoire !

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Les premiers bâtiments de la mine O’Brien au milieu des années 1920. À droite, les bureaux et à gauche le dortoir et la cuisine.

Source : Comité organisateur des fêtes du 50e anniversaire de fondation de Cadillac, Cinquantenaire de Cadillac, 1938-1988, 1988, p.3.

Ainsi, à l’été 1924, le canton attire l’attention de plusieurs chercheurs d’or. Ce mouvement de prospection porte fruit ; dès le début des années 1930, plusieurs mines y entrent en production : Thompson Cadillac, O’Brien et Kewagama.

Le quartier Cadillac se trouve aujourd’hui à proximité de l’emplacement de ces mines. Toutefois, avant que la ville de Cadillac soit érigée en 1938, grand nombre de personnes travaillant dans les environs ont habité dans de petites agglomérations spontanées et illégales qui sont aujourd’hui détruites. Leur familles, quand ils en avaient une, les accompagnaient généralement.

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Le village de squatters de Kewagama en 1938.

Source : Comité organisateur des fêtes du 50e anniversaire de fondation de Cadillac, Cinquantenaire de Cadillac, 1938-1988, 1988, p.3.

Les mines de Cadillac

C’est en 1932 que la O’Brien, première mine dans le canton de Cadillac, entre en production. Deux prospecteurs, Austin Dumont et W. Hermeston avaient fait des découvertes intéressantes dans les années 1920. Cependant, c’est la découverte en 1929 d’un filon d’or d’une teneur exceptionnelle qui déclenche la mise en valeur d’un premier gisement. Ainsi, la O’Brien sera en exploitation de 1932 à 1956 et ensuite rouverte par l’entreprise Darius Gold Mines Inc. de 1978 à 1981.

Amm Gold Mines - Vue générale de la mine. . - 1939

Vue générale Mine O’Brien

BAnQ, Rouyn-Noranda, E20,S2,SS1,P167

Aussi jalonnée (claimée) dès l’été 1924, la Thompson Cadillac sera exploitée de 1936 à 1939. Pendant ces trois années, elle aura produit 18 060 onces d’or et 917 onces d’argent. Après avoir approfondi le puits, l’entreprise Alger Gold Mines Ltd a repris l’exploitation entre 1945 et 1948.

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Thompson Cadillac – Vue générale de la mine.

BAnQ, Rouyn-Noranda, E20,S2,SS1,P214

Finalement, exploitée essentiellement en 1940, la mine Kewagama produisit près de 1000 onces d’or, avant d’être remise en exploitation momentanément en 1980 et 1981.

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Mine Pandora

BAnQ, Rouyn-Noranda E20,S2,SS1,P209

Le village de squatters de Kewagama

Les différentes entreprises minières du canton se sont occupées elles-mêmes de loger leurs employés dans des townsites, des villages privés construits par les entreprises. Toutefois, ce n’est pas tout le monde qui peut (ou qui veut) y habiter. En conséquence, à proximité de la mine O’Brien une agglomération de squatters nommée Kewagama (aussi connue sous le nom de Petit-Canada) est érigée sur les terrains de la Valco Gold Mine.

 

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Source : Comité organisateur des fêtes du 50e anniversaire de fondation de Cadillac, Cinquantenaire de Cadillac, 1938-1988, 1988, p.3.

Ce village de squatters (donc de gens n’étant pas propriétaires de leur terrain) est composé d’environ 200 habitations. Le terme Kewagama, qui a aussi servi à nommer une mine du canton, est le nom que portait le lac Preissac avant 1923.

Selon la Commission de toponymie du Québec, il signifie « celui qui semble s’en retourner » en langue algonquine. De son côté, le terme Petit-Canada est utilisé par de nombreuses autres agglomérations, surtout en Nouvelle-Angleterre. En fait, ce nom est d’abord donné par les Américains aux communautés canadiennes-françaises qui peuplent le nord-est étatsunien. Nous pouvons donc déduire que Kewagama était sans doute surtout peuplé par des Canadiens français.

Le village de squatters est construit à proximité d’une source d’eau qui se situe à une trentaine de mètres au nord de la route 59 (aujourd’hui, la route 117). S’en suit un développement relativement anarchique. Aussi subitement que spontanément, les résidents érigent des maisons, des hôtels et plusieurs commerces, sans qu’aucun plan d’urbanisme n’harmonise les constructions. À l’instar des autres villages de squatters, comme Roc-d’Or et Rouyn-Sud, il n’y a pas d’électricité, d’aqueduc, ni d’égouts à Kewagama.

 

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Le village de Cadillac le 20 mai 1939.

Source : BAnQ, cartes postales, CP 021544 CON

Toutefois, monsieur Frank Ash, le propriétaire du premier magasin général du village « vend de l’eau potable de porte-à-porte à partir de barils de quarante-cinq gallons, installés sur une voiture tirée par un cheval, à raison de 0.05$ la chaudière ».

Selon le journal la Frontière, « ce petit village est composé pour les trois quarts de bonnes familles, dont les chefs travaillent aux mines O’Brien, Thompson Cadillac, Kewagama et autres ». Toutefois, dans un autre article de ce journal, quelques semaines plus tard, on apprend qu’une effervescence sociale, comparable à celle de Putainville, y règne : « Chaque jour de paye est un jour mémorable pour Kewagama ».

Déménagement vers Cadillac

Au milieu des années 1930, le gouvernement unioniste de Maurice Duplessis est résolu à faire cesser le phénomène des villages de squatters dans le Nord-Ouest québécois et Kewagama est directement dans leur ligne de mire.

En conséquence, dès 1938, le gouvernement crée ex nihilo le village « modèle » de Cadillac. Perpendiculairement à la rue principale, sept rues transversales sont construites. Rapidement, la nouvelle agglomération est dotée des services d’aqueduc et d’égout, d’un réseau électrique et du téléphone. L’un des premiers édifices à être érigé est le Théâtre Palace qui contient 300 sièges. C’est dans ce même bâtiment, relativement imposant, que la Police provinciale s’est installée lors de leur arrivée dans ce village en mars 1939.

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Source : Comité organisateur des fêtes du 50e anniversaire de fondation de Cadillac, Cinquantenaire de Cadillac, 1938-1988, 1988, p.5.

À la fin de mars 1938, les habitants du Petit Canada ont reçu un avis gouvernemental les obligeant à quitter le village de squatters dans un délai de 60 jours. En conséquence, s’ils désiraient conserver leur maison, les propriétaires sont contraints de la déménager, elle aussi, à Cadillac. Bien que de nombreux squatters contestent cette décision dans les premiers temps, La Frontière affirme qu’ils « comprennent qu’il vaut mieux pour eux d’aller s’établir dans un endroit où ils pourront recevoir tous les services publics, électricité, égouts, protection contre les incendies, sorties sur les routes régionales, etc. » (La Frontière, 21 avril 1938, p.1).

Toutefois, la semaine suivante, le même journal nous apprend que « [l]a majorité de la population et surtout les hommes d’affaires sont opposés à cette migration en masse. » Ceux-ci affirment qu’ils n’ont pas la « finance nécessaire pour accomplir les travaux requis que demandera un tel dérangement et qu’ils n’apprécient pas « être chassés du site choisi par eux, il y a deux ou trois ans » (La Frontière, jeudi 28 avril, p.9). Ils ne s’opposent pas à l’érection du nouveau village de Cadillac mais veulent que le gouvernement les laisse en paix. « Nous ne demandons rien, qu’on ne nous accorde rien, nous ne le regretterons pas à condition qu’on nous permette de vivre où nous sommes. » Bien qu’ils soient résolus à démolir Kewagama, le gouvernement accordera un délai supplémentaire aux résidents. Ils ont même attendu à l’automne 1938 parce que « les neiges et la gelée facilitent le transport des maisons et diminuent le coût » (frontière, 25 août p.4).

Mine O'Brien - 1 homme non identifié. 1935 - copie

Mine O’Brien – 1 homme non identifié, 1935.

BAnQ, Rouyn-Noranda, E20,S2,SS1,P173

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Photo de la couverture: Source : Comité organisateur des fêtes du 50e anniversaire de fondation de Cadillac, Cinquantenaire de Cadillac, 1938-1988, 1988, p.2.

Pour en savoir davantage :

Jonathan Barrette, Les villes de compagnie, génératrices de localités périphériques : Le cas de Rouyn-Noranda, Rapport de recherche, UQAM, 2007

Odette Vincent, Histoire de l’Abitibi-Témiscamingue, IQRC, Montréal, p. 316

Comité organisateur des fêtes du 50e anniversaire de fondation de Cadillac, Cinquantenaire de Cadillac, 1938-1988, 1988

Alexandre Faucher, De l’or… et des putes? Rouyn-Noranda, les Éditions du Quartz, 2014.